18/06/2015 : L'économie est-elle une science ?

Pour le prochain café-sciences, nous quittons le domaine des sciences de la nature pour nous intéresser à l'économie que certains classent dans le domaine des sciences humaines.

L'économie fait appel aux mathématiques, science exacte s'il en est, mais est-elle elle-même une science ? Ce sera l'objet de notre prochain débat.

Projet d'intervention

C'est Jean-Pierre Cendron qui introduira le débat :

"L’économie est souvent baptisée dans le monde universitaire, notamment anglo-saxon, du nom de « sciences économiques ». Le véritable intitulé du « prix Nobel d’économie » n’est-il pas « prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel » ? Peut-on pour autant parler d’une véritable science ?

L’utilisation de statistiques et de modèles mathématiques sophistiqués renforce cette image d’une analyse économique « scientifique », fondée sur des hypothèses rigoureuses et susceptible de conduire à des conclusions et des recommandations incontestables en matière de politique économique, d’autant plus que la vision néo-libérale de cette discipline est quasiment hégémonique, aussi bien à l’université que dans les media.

Par quel cheminement de la pensée est-on passé de « l’Economie Politique » du XIXème siècle à la « Science économique » des XX et XXIèmes siècles ? Les méthodes utilisées par l’analyse économique contemporaine sont-elles scientifiquement fondées, notamment en ce qui concerne les hypothèses de départ, la logique qui sous-tend les démonstrations ou les prévisions auxquelles elle conduit ? Comment expliquer alors l’hégémonie de la vision néo libérale sur le monde universitaire et, plus largement, sur les commentateurs de la vie économique ?

La première partie de la présentation s’attachera à retracer les grandes inflexions qui ont conduit les économistes (d’Adam Smith à Milton Friedmann) à abandonner peu à peu les notions de valeur-travail et de répartition du revenu national, pour s’intéresser à celles d’utilité marginale et d’équilibre général, rejetant (Marx) ou intégrant (Keynes) les approches critiques du fonctionnement du système économique.

La deuxième partie s’intéressera au réalisme des hypothèses utilisées par les économistes néolibéraux (individualisme méthodologique, comportement rationnel de l’homo oeconomicus, concurrence pure et parfaite, etc.) ; aux méthodes mathématiques utilisées pour modéliser la vie économique (courbes d’indifférences, recherche de l’équilibre général, faiblesse de la réflexion dynamique) ; aux prévisions qui en découlent, notamment en matière de crises et de fluctuations économiques.
 

La dernière partie proposera quelques réflexions sur la nature de l’hégémonie de la « science économique » néo-libérale dans le monde universitaire, non seulement anglo-saxon mais également français, comme le montre l’affaire de la section « Economie » du Conseil national des universités ; puis elle élargira l’analyse aux « experts » économiques qui interviennent dans les média et contribuent à façonner l’opinion publique.

La conclusion nuancera le tableau en constatant que la crise de 2008 a favorisé l’émergence d’une nouvelle génération d’économistes qui s’efforcent de développer de nouvelles lignes de pensée (par exemple : Piketty ou Keen) et a permis la création de règles déontologiques visant à éviter les dérives les plus graves. Ces évolutions tendent à révéler la véritable nature de l’économie, celle d’une science humaine, avec toutes les fragilités et les incertitudes que cette notion implique, sans lui ôter pour autant la place centrale qu’elle occupe dans l’analyse de nos sociétés contemporaines."


Jean-Pierre cendron
Économiste, auteur d’ouvrages scolaires en sciences économiques et sociales, puis responsable des ressources humaines dans de grandes institutions publiques, Jean-Pierre Cendron vit à Grambois. Très impliqué dans la vie associative et l’animation culturelle (théâtre, sculpture), il est aussi auteur de romans.

Questions

Et voici quelques questions qui seront abordées lors de cette soirée :

1. Quel est l’objet dont traite la Science économique ? Son périmètre est-il bien défini ? Quel est le rapport de la Science économique avec le réel ?

Que penser de cette affirmation de Karl Popper : « Le développement de l'économie réelle n'a rien à voir avec la science économique. Bien qu'on les enseigne comme s'il s'agissait de mathématiques, les théories économiques n'ont jamais eu la moindre utilité pratique » ?


2. Comment s’élaborent les théories (ou les modèles) économiques ? Y a-t-il consensus entre les divers spécialistes de l’économie ? Quel est le juge de paix en cas de désaccord ? Y a-t-il des règles de publication équivalente à celle des sciences physiques ou mathématiques. Quels sont les critères de réfutation (Popper) ?

3. Les théories (ou les modèles) économiques sont-elles indépendants des orientations politiques ou idéologiques ? Concernant notamment le rôle de l’état dans l’économie.

4. Comment valide-t-on les théories économiques ?
- au niveau des faits (données économétriques)
- au niveau des modèles

5. La science économique est-elle explicative, prédictive, normative ?

6. Comment expliquer le nombre  et la succession des « crises » économiques ? Quelle est la part de responsabilité des « économistes » versus des « politiques » : défaut de prédictions, défauts de mise en application, manque de courage des politiques …
Ex : crise de la Grèce

7. Comment expliquer les discours très contradictoires des économistes dans les media ?
- austérité versus croissance
- déflation versus inflation
- euro fort versus euro faible
- controverses sur les indicateurs (ex : le PNB)

8. Comment peut-on qualifier le modèle de l’économie chinoise ? N’est-ce pas une alternative à l’économie d’inspiration néo-libérale ?

9. Y a-t-il encore des économistes « marxistes ou néo-marxistes ». Les théories économiques développées par Marx ont-elles été définitivement enterrées en même temps que ses théories politiques ?

10. Existe-t-il des théories prenant en compte l’épuisement des ressources naturelles ? (Croissance zéro, voire décroissance) ou bien reste-t-on toujours sur des hypothèses de développement exponentiel ? Les outils de mesure se sont-ils adaptés en conséquence (abandon du PNB comme indicateur de mesure de la croissance, prise en compte de l’économie « virtuelle », évolution des modèles « primaire, secondaire, tertiaire ») ?